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Incisions ?

André de Peretti

 

L’art, reliant textuellement et toujours !, des matières ou des formes et des signes, habituellement inattendues et disjoints, est plus que jamais à la « pointe » de l’actualité, cognitive ou structurale, architecturale, qu’il contribue à « inciser » de paradoxes en efflorescence. André Malraux ne nous avait il jadis prévenus, nous invitant à entendre « les voix du silence » ?, et un silence « incisé » d’œuvre d’art muettes, mais qui nous parlent planétairement, coupant les bavardages promus dans la Doxa !

 

Oui, « Incisions », insistent à leur tour, en actualité insigne, nos artistes russes et français, en quatuor ou quintet, nous invitant à scruter leur projet « d’installations » conjointes, marquées de signes « asémantiques » et de non-significations signifiantes ! : Décapant les vernis académiques et les banalités plates, à coup de Paradoxes !

 

Ce qui me frappe, dans leurs contrastes intentionnels, dès l’incursion vers leurs « incises », c’est la dominante d’intériorité que les préfixes de leurs termes préférés (en « in ») pointent, projetant : récusant, excluant toute expression convenue, toute extériorisation superficielle, tout contentement suffisant. Et c’est, toutefois, en même temps, par leurs « installations » l’évocation pour moi, avec vivacité, de l’alerte d’André Gide, invitant à nous éloigner des « Paludes », à nous couper, sans cesse ni coupure, de tout ce qui est trop inertement habituel, enfermé et enfermant au ras des « marais » de médiocrité, monotones sinon kitsch.

 

Mais en ces « installations » et « Incisions », présentées en leur dialogue franco-russe, ce qui me touche encore, c’est leur mise en tension triple, je dirais même leur en mise en « dialogique » au sens d’Edgard Morin : en laquelle chacun se soutien et se renforce  des contrastes des autres.

 

Ainsi leur tension expose- t’elle une répartition, une installation inédite mais rythmée, de bandes de lin, traditionnelle, incises de « citations » en cyrilliques et d’ornements slaves. Conjointement, elle se marque par un déroulement de rouleaux de « papier fax », pigmentés de traces « non-narratives », et tamponnés médiatiquement en langue intermédiaire (« Devalued » !). Elle achève son rythme enfin par l’ « expulsion », en verticalité, d’une « matière-chair » excisée, en « percées de vie », au travers d’un « rouleau de métal, incisé »…

 

De la sorte se confirment les contrastes et les défis dialogiques d’une modernité d « archaïsmes ethnographiquement re-incisés, escortée d’une longue et verticale interpellation en « degré zéro » de lourdeur et de distance, toutes deux rejointes et confortées par une saignante liberté de sens hors des « enfermements » littéralistes et réducteurs, concentrationnaires » !

 

Ce qui m’apparaît dès lors et m’inspire, en regard et raison, c’est naturellement le refus de complaisance à prétentions esthétiques, dans les projets conjoints de nos artistes. C’est leur combinatoire de « reliance » incitatives, incisés aussi bien entre : Russie et France ; arts visuels et médias ; légèreté et incisions ; présenciation et « distanciation » (au sens scénographique de Berthold Brecht) ; modernité actualisée et traditions ! « Chair » et « métal » ; esthétique et « mécanique » ; mais aussi liberté et relations. Tant ils signent, en urgence, au nom des Arts, le devoir d’échapper aux « ankyloses des vérités premières » dénoncées par Gaston Bachelard.

 

En réflexion de quoi, ce qui me surprend et me plait, c’est, en pointe de leurs désignations incises, le raccordement de nos artistes à l’acuité de l’actualité scientifique : en laquelle les pensées et les investigations, en refus de complications et séparations Kafkaïennes, s’ordonnent, inter-disciplinairement, interactivement, à respecter, à honorer, la complexité ; saisie et « modélisée » disons-nous avec Edgard Morin et jean louis Le Moigne, mais aussi tend à dire le CNRS ; dans des recherches en leur plus actuelle précipitation ou accélération technoscientifique et mondiale.

 

Complexité, et par le devoir des arts, esquissée en sa simplicité évolutive !.. Sans doute, deux d’entre nos artistes présents, l’avaient déjà énoncée en France : par le jeu de façades poudrée de taches ou de signes asémantiques ; par la décoration de murs en « chair » et « métal » hors grillage ; et par des jeux de marelle, distrayant l’étendue de jardins institutionnels, par des dalles de chanvre brulé !

 

Mais, cette fois-ci, la complexité sera honorée, selon les « installations » intériorisantes de la simplicité intuitive des arts ; en conjuguant en « dialogique » d’interfécondations réciproques, les cultures, anciennes et toutes neuves, apparemment éloignées, de la Russie et de la France. Que vives chances, pointues et réjouissantes, émanent, au Centre d’art Proek-Fabrika, du projet 2010.                                    Paris  -  28 décembre 2009 

André de Peretti

Exposition Incision 3

Incisions

David Wolf

 

 

 

L’écriture précède la parole : affirmation surprenante, que nous devons à Jacques Lacan. Il est vrai que le même Lacan avait déjà étonné son monde en déclarant qu’il « il n'y a pas de rapport sexuel ».

L’écriture. Si ce n’était que : B …A …BA ! Vue sous cet angle, l’écriture n’est que la transcription de quelque chose qui lui préexiste et qui est la voix. Chaque lettre de l’alphabet vaut phonème. 

Mais l’écriture en tant qu’inscription ? Elle est le viol d’une surface primitivement vierge : par le fer, par le feu, par la pointe d’un roseau ou d’une plume, par un burin ou un stylet. Ces instruments, une main les tient et par leur truchement impose sa présence à un substrat inerte qu’elle griffe, gratte, ronge, rogne, brûle, macule, froisse. 

La main laisse une trace : la trace de qui ?  Cette trace est une signature. On faisait, naguère signer d’une croix les analphabètes. On ne savait donc pas qui avait signé (Durand ? Dupont ?) ; on savait qu’il, ou elle, l’avait fait. Le signataire serait il « je » ? Je soussigné ? À condition de bien voir qu’il s’agit d’autre chose que d’un J…E …JE. Le signataire ne s’appelle  pas Je. Le « je » dont la signature est la trace se situe en amont, dans un arrière-plan plus lointain que les phonèmes ou les lettres que la parole ou sa transcription graphique enfilent comme les grains d’un chapelet.

Vincent Van Gogh signait de son prénom. Mais nous n’avons nul besoin de lire « Vincent » dans le coin de l’une quelconque de ses toiles pour savoir qu’il s’agit d’un Van Gogh. Toute la toile laisse voir l’empreinte du peintre. Tirons en la conclusion que c’est l’œuvre toute entière qui est signature et que, réciproquement, c’est à condition d’être signature qu’une œuvre peut prétendre au statut d’œuvre.

Incisions ? Entailles ? Inscriptions ? Écritures ? Quelle que soit la métaphore, c’est avec une problématique qu’il faut bien situer au cœur même de l’art qu’Eliza Magri, Altone Mishino et Brigitte Saby expérimentent.

Paris 2008

 

            

David Wulf

Exposition Incision 1

Incision

Eliza Magri

 

 

[...] Derrière le mot incision, une logique humaine et de vie, à la racine et aux intersections du terme, un monde à tisser. Il existait une langue première dont il ne reste presque plus aucune trace, l’indo-européen. La plus-part des langues parlées en Europe ainsi que le persan, le sanskrit, des langues mortes telles que le latin ou le hittite, puisent leur origine et leurs ramifications de cette langue. Plongeons dans cette matière première avec la racine (S)KER - gratter, inciser, couper – qui par extension existe aussi sous la racine de SKRÌBh. Une incursion dans le mot « gratter », présume déjà du voyage. Au côté de « grat(t)er » figurent frotter mais encore écorcher, caresser, fouiller. Les scribes médiévaux grattaient le parchemin à la pierre ponce pour écrire à nouveau, geste de l’effacement, du recouvrement ; gratté, ôté mais toujours présent. Tel un protolangage s’inscrivant sur la peau, la vie et la psyché s’inscrivent sur le support cutané. 

 

Dans cette racine indo-européenne (S) KER, deux familles de mots retiennent mon attention : la famille chair et la famille écrire. Au côté de « chair » [caro – carnis] se développe le terme « écorce » [cortex] qui avec [excorticare] donnera naissance à « écorcher » et une troisième famille [corion], elle donne vie aux mots « cuir » et « peau ». Parallèlement et toujours issu de la racine (S)KER, se situe le terme écrire, soit en grec skariphastai, « inciser légèrement », il connait le dérivé de scarification que nous connaissons et en latin de « scribere ». Ces quatre mots, Peau-Écorce-Chair-Écrire, posés en écho les uns avec les autres, constituent le premier fil rouge de ma création. Si le mot coupure puise son imaginaire dans le monde des rites et des pratiques ancestrales, il est aussi particulièrement présent dans certains mythes ayant trait à la peau, tel le mythe de Marsyas.[...] Lorsque la coupure s’inscrit sous la catégorie de l’écriture, elle pose la question du lien existant entre le pouvoir de l’écriture et l’exercice de la violence. [...]

Paris 2017

 

 

Eliza Magri

Extrait mémoire M2

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